Ah! Comme l'ennui est difficile et profond pour qui doit rester si longtemps sur la terre, sans plus réellement y appartenir ! Comme le temps de sa vie avait coulé rapidement ! Et maintenant, elle devait supporter le rythme lent et régulier des années qui, sans plus l'atteindre, l'astreignaient de leur poids si difficile à supporter, dans l'inaction totale où elle était plongée. Si encore il y avait eu quelque espoir de fin, un objectif, quelque part... Mais l'éternité est quelque chose d'assez long, et elle ne promet pas de fin. Souvent, comme tous les fantômes, la Dame se prenait à songer à la fin du monde, car il fallait bien que cela ait une fin, non ? Quelle délivrance ce serait alors, et quel plaisir elle éprouverait au moment de partir, enfin, de lâcher prise. Cet instant auquel elle songeait si souvent, elle ne pouvait rien faire que l'attendre, et l'attente est longue dès qu'il s'agit d'éternité.
Telles sont les lamentations d'un fantôme qui se morfond, et la Dame Grise n'échappait pas au lot. Le seul avantage qu'elle avait sur la grande majorité de ceux de sa race était d'être entourée de jeunes, d'enfants, qui mettaient tout de même de l'animation dans ce rythme inlassablement répété de printemps, de jours, de nuits, de guerres et d'armistices toujours provisoires. Aujourd'hui, le fantôme des Serdaigle se promenait simplement dans le Parc, quand lui vint l'idée d'aller faire un tour aux serres. En arrivant devant la vitre, elle aperçut une jeune fille de la maison du Moine qui venait d'entrer. Ne voulant pas trop déranger, et voulant observer un peu cette enfant, elle traversa sans bruit la paroi de verre, et se contenta de regarder en silence, se faisant presque transarente, à peine un voile entre les hautes plantes et la vitre. La gamine semblait désabusée et ennuyée, et la ame eut envie d'aller lui parler, tant un air si triste sur une figure qui aurait dû être heureuse de sa situation lui faisait de la peine. C'est qu'elle était vivante, un cadeau du ciel, et penser qu'elle pourrait gâcher sa vie, que tous les fantômes lui auraient enviée, à se morfondre et à ne profiter de rien faisait mal au coeur de la Dame. Cependant, la jeune fille s'illumina bien vite au contact des plantes, et elle se mit rapidement à courir tout autour de la serre. Ah, sa vitalité faisait plaisir à voir ! Quand elle s'arrêta, essoufflée, et se remit à contempler les plantes, la Dame ne résista pas à l'envie d'une petite conversation avec un être humain. Elle tenait cependant à se montrer délicate, et pour ne pas surprendre l'enfant, elle sortit en silence, traversa donc la vitre, puis poussa la port la faisant grincer, et utilisa les quelques liens qui l'attachaient encore au monde pour se donner autant de substance que possible, et pour faire résonner ses pas sur le sol de la serre. Ca lui faisait plaisir de se comporter ainsi, parfois, comme une humaine. Elle attendit que le visage de l'adolescente soit tourné vers elle pour prendre la parole, de sa voix lointaine et un peu rauque.
- Bonjour, jeune fille... C'est magnifique, n'est-ce pas, la vie si intensément végétale que contient cette serre...
Elle se tut un instant, et laissa ses lèvres qui avaient été gracieuse se parer d'un sourire protecteur et aimable.
- Moi-même, la première fois que je suis venue ici, oh, c'était il y a bien longtemps, j'ai été toute chamboulée ! C'était un joli matin de début d'automne, il faisait très beau encore, et la serre venait d'être construite. Mais déjà, les plantes pointaient leurs feuilles frêles, et certaines plantes, aidées par les soins que leur prodiguaient Helga, étaient déjà assez hautes.
Elle resta un instant pensive, à contempler la végétation fourmillante du lieu, puis son sourire se fit rêveur, et elle désigna à la jeune fille un très vieil arbre qui trônait au centre de la serre.
- Cet arbre, particulièrement, il a des propriétés de guérison très puissantes, et ils s'étaient évertués tous les quatre à le faire pousser plus haut et plus vite que tous les autres... C'est Godric, si je me souviens bien, qui avait demandé à ce qu'il soit planté... J'ai fait une étude sur ses propriétés quelques années plus tard, il permet de ressouder un membre défait, mais sa sève quand elle est sêchée est aussi un puissant ainti-douleur. Quant à ses fruits, ils sont dégoûtants à manger, mais ils favorisent la croissance des jeunes enfants.
Elle s'interrompit un instant, encore plongée dans sa jeunesse disparue, avant de revenir à la réalité, et, haussant les épaules, de continuer :
- Mais je t'ennuie, ma pauvre enfant, avec mes histoires ! Il ne faut pas me laisser parler ainsi, tu sais, sinon je ne m'arrêterais jamais ! C'est que l'éternité est un peu longue pour nous autres fantômes, et nous aimons bien parler un peu aux jeunes générations. Ca nous rappelle notre propre jeunesse.
A ces mots, elle ne put retenir un soupir un peu mélancolique, et ses yeux sombres se perdirent dans le lointain.